Joueur en série: Konami, grandeur et décadence
D’abord adulé, maintenant insulté: Pèse Sur Start revient sur la trajectoire de Konami, l’historique studio japonais qui célèbre ses 45 ans cette année.
2001: Après 20 ans de succès, Konami envoie les joueurs au nirvana avec Metal Gear Solid 2 et Silent Hill 2. 2015: #fuckonami devient le hashtag à la mode sur Twitter dans la communauté des gamers.
Que s’est-il passé? Comment l’une des compagnies les plus respectées de l’industrie du jeu vidéo est-elle devenue l’objet d’un tel dégoût?
Bah comme d’habitude, c’est une histoire d’argent! Allez, bye.
Bon d’accord, on va développer.
Du juke-box à la NES
Quand Kagemasa Kozuki monte son affaire en 1969, son ambition est juste de louer et réparer des juke-box. La compagnie marche bien, mais il voit un meilleur filon dans les jeux vidéo d’arcade. Il trouve trois autres associés pour développer ce secteur et le 19 mars 1973, la société Konami Industry Co., Ltd est établie: Ko pour Kagemasa Kozuki, Na pour Yoshinobu Nakama, M pour Hiro Matsuda, I pour Shokichi Ishihara.
Le changement de cap de l’entreprise est bien vu: aujourd’hui encore, Konami est un nom qui sonne comme de la musique dans les oreilles pour les trentenaires qui sont tombés dans la marmite de jeux vidéo quand ils étaient petits.
Car à partir des années 80, le studio commence à aligner quelques grands classiques du jeu vidéo.
Le premier est probablement Frogger (1981), un jeu d’arcade où l’on dirige des grenouilles qui doivent traverser une route ou une rivière. Il a entraîné de nombreuses suites et clones. Le jeu est suffisamment connu se retrouver dans un épisode de la série télé culte Seinfield.
En bisbille avec Sega, qui a distribué Frogger, mais s’est approprié la marque sans son autorisation, Konami choisit la NES de Nintendo pour y adapter ses grands succès d’arcade (ainsi que les micro-ordinateurs, comme le MSX).
Il y a Gradius (1985), un shoot 'em up horizontal qui développe un concept relativement nouveau à l’époque: les power-ups qui font évoluer les armes du vaisseau.
Le studio japonais sort un an plus tard Castlevania, le premier épisode d’une série mythique de jeux d’aventure et d’action. On y incarne Simon Belmont, bien décidé à régler son compte à Dracula à grands coups de fouet (et ces musiques!)
1987 est encore plus riche pour la NES, avec l’arrivée de Contra, Metal Gear et Track & Field. Trois titres majeurs qui résonnent aujourd’hui encore.
Le premier nous fait incarner un soldat luttant contre une invasion robot-extraterrestre, dans un shoot and jump très dynamique, célèbre pour son mode à deux joueurs en simultané.
Metal Gear, ça vous dit quelque chose?
On ne présente plus la franchise Metal Gear, que de nombreux joueurs nord-américains ont découverte avec ce jeu NES. Ce n’est certes pas le «vrai» premier épisode de Metal Gear, puisque... bon, c’est un peu long à expliquer, alors si vous voulez tout savoir sur l’histoire de cette saga, lisez notre article qui lui est tout spécialement dédié.
Et que dire de Track & Field, jeu de sport basé sur les Jeux olympiques d’été qui a popularisé un nouveau genre? Ce genre, c’est le «je pèse sur A et B comme un estie d’malade pis j’ai une crampe pis j’trouve ça drôle». À jouer à deux évidemment, sinon on se prive d’une partie importante du gameplay, à savoir pousser son rival du sofa pour l’empêcher de taper sur les boutons plus vite que nous.
Une autre petite franchise gagnante pour la route? Le redoutable Teenage Mutant Ninja Turtles, sorti en 1989. On peut y incarner les quatre tortues ninja (mais tout le monde préférait Donatello et son gros bâton plutôt que Raphaël et ses saïs qui ne coupaient rien à part ses propres doigts).
Les tortues ninjas auront droit à de nombreux autres jeux, plus orientés action, en arcade, sur Game Boy, ou sur les consoles de générations suivantes.
Si on est vieux, on garde aussi un souvenir ému de...
- Blades of Steel (ouiiii le jeu de hockey!!!)
- Batman Returns (vraiment excellent à l’époque)
- Double Dribble
- Green Beret
- Life Force
- Parodius
- The Goonies 2
- Twin Bee
- The Adventures of Bayou Billy
- Top Gun (et ses phases d’atterrissage légendairement frustrantes)...
- Ça déborde!
De grands jeux sur 16 bits
Avec l’arrivée des consoles 16 bits, Konami assoit ses grandes franchises en réalisant quelques suites marquantes sur Super NES. La lutte entre Konami et Capcom pour le titre de meilleur studio de jeux consoles de cette génération donne de sacrés fruits.
Gradius 3 sort dès 1990, et surtout Castlevania 4 (1991), un des jeux marquants des premières années de la console de Nintendo. La suite de la chasse aux vampires met une claque à tout le monde. Le héros peut s’accrocher à des prises grâce à son fouet et tourner: le mode 7 de la console permet de faire pivoter le décor, ce qui est à la fois bluffant visuellement et apporte un élément de gameplay neuf, grâce à des niveaux exploités dans plusieurs sens.
Ce jeu démontre la capacité de Konami à s’adapter aux nouvelles machines avec une facilité déconcertante. Déjà, leurs jeux sur MSX2, un micro-ordinateur vendu au Japon, étaient loin devant la concurrence (notamment le «vrai» Metal Gear 1 et sa vraie suite, le mémorable Metal Gear 2: Solid Snake en 1990).
Même chose en 1992 avec Contra III: The Alien Wars, suite particulièrement fun d’un bout à l’autre de ses six niveaux, surtout à deux en coopération. Il n’est pas super long, mais assez difficile et ne propose que des passages cultes, variés et pleins de boss géants.
Un niveau nous fait par exemple chevaucher une moto futuriste avant de finir suspendu à des missiles d’hélicoptères pour détruire un vaisseau alien. Deux niveaux labyrinthiques sont vus du dessus. Un vrai régal, toujours apprécié par les amateurs de retrogaming aujourd’hui.
Pendant ce temps, les relations se réchauffent avec Sega, qui a envoyé des fleurs à Konami pour se faire pardonner et... Bon d’accord, c’est parce que la console Genesis se vend comme des petits pains, tout le monde veut sa part de cash.
La Genesis accueille donc de bons petits jeux, surtout ceux adaptés de dessins animés. Il y a Teenage Mutant Ninja Turtles: The Hyperstone Heist (1992), un beat 'em up adapté d’un jeu d’arcade.
On se souvient aussi de Tiny Toons Adventures (1993), un jeu de plates-formes très mignon, classique, mais bien fait et très long.
C’est un peu la même chose avec Animaniacs l’année suivante, une autre licence juteuse habilement exploitée par Konami.
La console de Sega accueille aussi un très bon jeu de plates-formes: Rocket Knight Adventures (1993). On contrôle un opossum en armure pouvant se servir d’une épée et d’un jetpack pour se débarrasser de vilains cochons et robots: un programme plutôt cool.
L’âge d’or de la PlayStation
Konami ne perd pas la main avec l’arrivée de la PS One de Sony.
Son Metal Gear Solid (1998) est sans doute l’un des deux ou trois jeux les plus emblématiques de la console.
Le jeu a tout simplement changé la manière dont on conçoit les titres AAA de nos jours, et a démontré le rapprochement évident qu’on pouvait faire entre jeu vidéo et cinéma (y compris en utilisant des clichés dont on aurait pu se passer).
Là encore, je vous renvoie à notre Joueur en série dédié à la saga Metal Gear pour en apprendre plus.
C’est également cette année-là que Konami popularise les jeux de danse avec son Dance Dance Revolution, d’abord en arcade, puis au fil des versions sur PlayStation, Dreamcast, Xbox, Game Boy color, PS2, Xbox360 et Wii. La franchise sera supplantée par les Just Dance d’Ubisoft. Mais elle reste célèbre pour son tapis qui permet d’y jouer avec ses pieds... et pour les performances impressionnantes de certains acharnés, immortalisées sur YouTube.
Après son galop d’essai International Superstar Soccer, Konami accouche aussi de sa vraie franchise de futbol, Pro Evolution Soccer (2001, nommé World Soccer: Winning Eleven 5 en Amérique du Nord). Elle tiendra la dragée haute aux FIFA d’Electronic Arts pendant de nombreuses années.
Le succès est de nouveau au rendez-vous grâce à sa série Suikoden, entamée en 1995 (au Japon, chez nous c’est 1996), célèbre pour permettre d’incarner 108 héros, conformément au roman chinois dont il s’inspire.
Le pic Silent Hill et Metal Gear
Tout a l’air de rouler.
On est dans un âge d’or où certains développeurs de Konami deviennent des vedettes. Hideo Kojima est rendu célèbre pour Metal Gear, tout comme Akira Yamaoka, le compositeur des musiques de Silent Hill, qui ont tant marqué l’esprit des gamers. Notamment celle de l’intro!
Parlons-en justement, de Silent Hill (1999), un jeu qui apporte une autre dimension au genre encore naissant du «survival horror».
Alors que les Resident Evil de Capcom misent sur l’action et la peur qu’on évacue à coup de shotgun, Silent Hill se veut plus dérangeant, explorant les méandres de la psychologie des personnages et jouant avec les tabous et les malaises (et aussi avec un brouillard astucieux qui permet de pallier aux limites d’affichage de la console tout en instaurant une ambiance terrible).
Le jeu marque son temps, et sa suite Silent Hill 2 sur PS2 (2001) sera un sommet du genre (f...king Pyramid Head!).
Les années 2000 capitalisent sur ces acquis. Il faut bien dire que Konami surprend moins. Mais elle marque tout de même l’histoire du jeu vidéo avec les suites attendues de ses grandes franchises: Metal Gear Solid 2 et 3, et Silent Hill 2. Ces trois jeux, à eux seuls, sont de véritables sommets.
C’est après cela que les choses commencent à se gâter.
Déjà, la qualité des épisodes suivants baisse sérieusement. Les autres Silent Hill, sans être totalement mauvais, sont décevants après le chef-d’œuvre du second opus.
Le départ en 2009 d’Akira Yamaoka sonne comme la fin d’une histoire d’amour qui n’avait que trop duré entre les joueurs et la série.
Quant à Metal Gear Solid 4: Guns of the Patriots (2008, PS3), il n’est pas mauvais, mais semble lui aussi témoigner d’un coup de fatigue créatif. Bref, les premiers signes de la chute sont là, discrets. On espère alors un simple coup de mou.
La chute
On se trompait et on n’a rien vu venir.
2015 est l’année où Konami perd complètement la carte.
En avril, le studio fait disparaître des serveurs la démo de P.T. (pour Player Teaser), un mystérieux projet de survival horror qui semble annoncer le retour en fanfare de Silent Hill.
Derrière cette démo terrifiante, on annonce Kojima aux commandes, mais aussi le réalisateur Guillermo Del Toro et l’acteur Norman Reedus (le Daryl de la série Walking Dead).
Bref, les fans bavent d’impatience, tout ça pour se faire retirer le bonbon de la bouche, comme ça, sans explication.
Il devient clair que Konami ne peut plus supporter l’égo de son développeur vedette Kojima.
Avant la sortie de Metal Gear Solid 5 (toutes plateformes) en septembre 2015, on apprend que le studio et son créateur mégalo sont en froid. Au point que Konami a fini par l’écarter du projet et même à le virer après cet épisode. Encore une pilule dure à avaler pour les gamers, qui associent directement l’intérêt de la série à l’implication de Kojima.
Le choc se transforme en dégoût quand Konami annonce que les jeux mobiles sont l’avenir et qu’il envisage d’arrêter de développer des jeux AAA. Il faut dire que Dragon Collection a connu un succès fou en 2010, avec un budget de développement très faible.
Voilà donc le nerf de la guerre. Konami en a marre de gérer des budgets faramineux à quitte ou double, quand il voit des tas de petits studios engranger des bénéfices sans miser grand-chose.
Les joueurs, écœurés, voient alors leurs franchises chéries transformées en machine à sous minables.
Castlevania sert de vulgaire skin à un jeu de pachinko sous-titré Erotic Violence.
La franchise Metal Gear reçoit le même traitement.
Konami semble cracher au visage de ses fans.
Et quand le jeu Metal Gear Survive est annoncé comme un énième titre succombant à la mode des zombies, il semble insulter l’œuvre de Kojima et ses millions d’adorateurs.
Vent de revolución
La rupture est consommée.
D’où l’apparition du hashtag #fuckonami sur les réseaux sociaux en 2015.
Ce mouvement défouloir n’est guère apaisé par les témoignages racontant que Konami traite ses employés pratiquement comme des prisonniers.
Les comptes Facebook sont espionnés, l’accès internet est limité, les développeurs sont relégués à des postes sans rapport avec leurs compétences, comme réparateur de pachinko ou agent d’entretien dans le club de fitness de la compagnie (!).
Les «like» mal placés sur Facebook sont également punis par des changements d’affectation.
Le studio va-t-il imploser? Il semble en tout cas que des développeurs soient au bord de la révolte.
Sur cette image, prenez les initiales des noms de famille: cela donne KJP Forever, autrement dit Kojima Productions Forever.
Quant aux «Bastard Yota» et «Cunning Yuji» juste en dessous, ils ont tout l’air d’allusions peu flatteuses au directeur du studio Yota Tsutsumizaki et au producteur Yuji Korekado, en outre qualifiés de traîtres («AWOL»). Mais bien sûr, tout ceci n’est qu’interprétation...
On aimerait bien croire à un sursaut d’orgueil de la compagnie et un retour vers les grosses franchises exploitées dignement, mais...
Ben, ils font de l’argent en ce moment, beaucoup même. 220 M$ de bénéfice net pour le semestre avril-septembre 2017, en hausse de 33% par rapport à la même période un an plus tôt, grâce aux jeux mobiles vaches à lait que sont Powerful Pro Baseball, Professional Baseball Spirits Ace, PES Club Manager et Yu‐Gi‐Oh! Duel Links.
Bref, l’heure n’est plus à la maxi-ambition, mais à la microtransaction.
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