GameStop: des amateurs en bourse trollent Wall Street | Pèse sur start
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GameStop: des amateurs en bourse trollent Wall Street

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AFP

L’action de GameStop, une entreprise américaine de jeux vidéo qui bat de l’aile, a explosé depuis le début de l’année pour... troller Wall Street. C’est l’exemple parfait d’un phénomène qui prend de l’ampleur : la spéculation boursière sur les réseaux sociaux par des jeunes amateurs.

Cette semaine, l’action de GameStop a grimpé à plus de 340 $ USD alors qu’elle se situait à 17 $ en début d’année. Même chose pour l’action de BlackBerry qui a grimpé en flèche en l’espace de quelques jours. De petits investisseurs réunis sur des forums ont décidé de faire augmenter les prix en guise de protestation contre le système : voici comment c’est arrivé. 

Explications sur ce chaos organisé        

Que s’est-il passé pour qu’on en parle autant? Cette histoire oppose des géants des marchés boursiers à de petits amateurs qui en veulent aux riches investisseurs qui spéculent sur le cours des actions grâce à un mode de gestion alternatif, appelés les hedge funds. C’est un peu David contre Goliath, mais dans ce cas-ci, David a assommé Goliath. 

Dans le cas GameStop, des hedge funds ont prévu une baisse du cours de l’action de l’entreprise étant donné sa santé financière fragile et ont vendu des actions à découvert. Simplement, c’est une méthode qui permet de faire des bénéfices quand on estime qu’un titre va perdre de la valeur.

« Des petits investisseurs se sont passés le mot comme de quoi de gros investisseurs étaient en train de miser que le cours de l’action allait baisser, explique Alexandre F. Roch, professeur au département de finance de l’ESG à l’UQAM. Ils ont voulu leur faire un pied de nez en achetant les titres en grandes quantité pour que les [hedge funds doivent ensuite les leur acheter à fort prix].»

Cette flambée étonnante a mené à un short squeeze, soit une liquidation forcée des positions courtes. C’est ce qui force les investisseurs à quitter le navire pour éviter les pertes.

« Ça a un effet pervers, parce que les gros investisseurs perdent de l’argent, doivent fermer leur position risquée et ne peuvent pas continuer. Ils doivent tout liquider. Ça a comme effet de faire augmenter le prix encore plus », poursuit Alexandre F. Roch. 

Business Insider

Du trolling de haut niveau  

La flambée boursière de GameStop a de quoi attirer l’attention, parce qu’elle repose entièrement sur les spéculations de petits investisseurs amateurs réunis sur les réseaux sociaux et a un impact réel sur le marché. 

Le subreddit WallStreetBets réunit pas moins de 3,6 millions de membres. En signe de révolte, les membres se sont mis à acheter des actions de GameStop en quantités industrielles. Autrement dit, l’envolée soudaine de l’action repose sur la force du nombre et l’effet boule de neige. 

Le problème? On parle ici de manipulation boursière, une pratique illégale aux yeux des autorités des marchés financiers lorsque pratiquée par de grands investisseurs. Les petits traders profitent d’un flou juridique autour du courtage via les réseaux sociaux, un phénomène encore très nouveau.

« On est en dehors des vraies valeurs de l’action. [Robinhood] a dû bloquer les achats et les ventes parce que ça part dans l’euphorie », ajoute le professeur en finance Alexandre F. Roch.

C’est principalement sur l’application de courtage gratuite Robinhood que de nombreux petits investisseurs peuvent acheter leurs titres sans frais de transaction. Ces applications permettent à carrément n’importe qui d’investir en bourse et de suivre le cours des actions sur leur téléphone. À cela s’ajoute le mouvement d’entraînement des réseaux sociaux. Une recette parfaite pour une mini-révolution contre Wall Street.

« C’est la guerre »  

Les petits investisseurs jettent leur dévolu sur GameStop et appellent carrément à une révolution, voire une « attaque » envers les grands joueurs des marchés financiers. 

Sur la page Facebook Trading Québec, qui regroupe près de 20 000 particuliers, on appelle carrément à une « guerre ». 

« Quand on a compris que plusieurs plateformes de trading fermaient l’accès aux stocks [actions] tels GME [GameStop], NOK [Nokia], on a compris qu’il y avait une manipulation par le 1% des plus riches et j’ai voulu revendiquer mon pouvoir en tant que particulier », explique Gabriel Lefebvre, un jeune investisseur de 21 ans. 

Devant les fluctuations impressionnantes de l’action de GameStop, Gabriel ne s’en fait pas trop.

« Si on garde nos actions, qu’on se serre les coudes et qu’on ne tombe pas dans leurs pièges, on risque fortement de gagner ce combat », conclut le jeune homme. 

AFP

La pandémie popularise la bourse  

Plusieurs aspects nouveaux permettent d’expliquer les raisons derrières la popularité grandissante du trading.

« C’est un concours de circonstances, croit Jean-Philippe Lejeune, titulaire d’une maîtrise en finance et du titre de Chartered Financial Analyst (CFA). Il y a énormément de gens qui ont perdu leur emploi qui se tournent les pouces et se demandent comment ils peuvent faire de l’argent. Ce sont des particuliers sur les réseaux sociaux qui ne sont pas nécessairement éduqués en finance ». 

Jean-Philippe Lejeune y va même d’une comparaison entre les récents déboires du groupe extrémiste QAnon sur les réseaux sociaux et les mouvements de masse en bourse.

« Des petites choses anodines ont mené à cette bulle dont les aspects économiques et psychologiques du confinement. Ces personnes-là se motivent ensemble sans consulter des analystes ni des experts. Les réseaux sociaux ont régulé des pages comme QAnon pour éviter que ça déborde et vont-ils faire la même chose pour GameStop? », se demande-t-il. 

Plusieurs vont se brûler au jeu de spéculation sur les réseaux sociaux, croit le professeur Alexandre F. Roch.

« Je ne pense pas que l’affaire GameStop va se reproduire parce que c’est un cas vraiment spécial. Plusieurs ont déjà mis beaucoup d’argent là-dedans et ont pratiquement tout perdu aujourd’hui», laisse-t-il savoir.

Même s’ils perdent au jeu, tout indique les groupes et forums vont grandir et prendre de l’importance.

« Les réseaux sociaux se sont infiltrés dans la finance peu à peu. Les petits investisseurs vont être à l’affût parce qu’ils y trouvent plein d’informations. Ça a un impact important sur les grands marchés et il ne faut pas l’ignorer parce que c’est là pour rester », conclut le professeur en finance.