Fika Productions: sortir de l’ombre pour faire des jeux différemment

Antoine Grégoire-Slight, cofondateur et PDG de Fika Productions
Pour un jeune et nouveau studio, présenter un premier jeu au public est une fierté, mais parvenir à cette étape sans fléchir sous les embûches est un tout autre exploit.
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L’équipe de Fika Productions, qui a dévoilé son roguelite Ship of Fools en mars dernier, en sait quelque chose. L’entreprise de Québec a trimé dur depuis sa fondation en 2018 pour faire sa place au soleil et avoir la chance de donner vie à son premier projet.
«À un moment, les grosses questions qu’on se posait, c’était si on avait le budget pour se faire des cartes d’affaires en couleur. Aujourd’hui, on a un studio, on achète du matériel pour l’équipe, on paye des salaires à tout le monde. Il y a tellement une évolution quand on compare ça au tout début de l’entreprise, alors qu’on était en plein démarrage. Là, on fait comme: "OK, là on peut dire qu’on fait de quoi"!», lance en riant le cofondateur et PDG Antoine Grégoire-Slight.
Rencontré dans les bureaux encore neufs de Fika, en plein quartier Saint-Roch à Québec, le jeune entrepreneur se remémore les débuts du studio: trois amis qui, après avoir étudié ensemble, avaient envie de poursuivre l’aventure et de se lancer en affaires.
«On s’est demandé ce qui nous passionnait, ce qui nous rassemblait, et on avait tous une passion commune pour le jeu vidéo. On jouait ensemble à des jeux vidéo, des jeux de société. Tout ce qui est très social, on trippe. Au final, donc, on s’est dit: on part ça, on va faire un jeu vidéo», raconte Antoine.
Et puisque, de son propre aveu, «trois développeurs, ça ne fait pas des jeux magnifiques», l’équipe initiale de Fika s’est rapidement complétée avec deux autres amis du groupe, venus étoffer «l’aspect artistique» du studio.
Avoir les fonds... et la crédibilité
Hélas, pour lancer un studio, il ne suffit pas d’avoir une équipe et des idées plein la tête, ça prend aussi de l’argent!
C’est pourquoi avant de lancer réellement le chantier de projets comme Ship of Fools, les artisans de Fika Productions ont d’abord accompli différents mandats en développement logiciel et en design pour d’autres entreprises, le temps de se bâtir un fonds qui financerait leurs rêves de jeux vidéo.
«Ça apportait un peu d’eau au moulin et ça nous a permis d’embaucher quelques employés qui ont commencé à temps partiel pendant qu’ils terminaient leurs études», précise Antoine.
De fil en aiguille, le groupe de Fika s’est ensuite élargi pour atteindre la dizaine d’employés, qui ont poursuivi le travail sur les mandats externes, en plus de jeter les fondations de ce qui allait devenir Ship of Fools.
«L’objectif au début, c’était surtout de mettre en place une équipe avec laquelle on était capable de faire un projet de jeu de A à Z, puis de l’apporter sur le marché. C’était ça, notre première année, explique le cofondateur de Fika. Le terme qu’on utilise parfois dans des projets en informatique, c’est du bootstrapping. Tu crées ta structure, qui ensuite te permet de faire ton projet. La structure, c’était d’aller chercher la bonne équipe, les bons talents. Du monde qui s’y connaît, qui se complète super bien et qui est capable de couvrir tous les corps de métier nécessaires pour dire: on produit un jeu.»
Cela dit, une fois les coffres et les rangs un peu mieux garnis, un autre défi de taille attendait l’équipe de Québec: celui de se faire un nom et de se bâtir une certaine crédibilité.
Ainsi, alors que plusieurs studios indépendants sont formés par d’anciens membres de grandes entreprises de l’industrie, Fika misait pour sa part sur une escouade talentueuse... mais entièrement composée de recrues qui n’avaient encore aucun jeu à leur actif. Une situation qui s’est révélée un grand obstacle lorsqu’est venu le temps d’aller chercher du financement et d’établir la crédibilité du studio.
«On avait confiance en nos compétences. Ce qui était dur, c’était de convaincre le monde qu’on pouvait le faire, souligne Antoine. Au début, on en a fait des demandes au Fonds des médias du Canada et c’étaient que des refus. On avait de bonnes notes partout, mais quand on arrivait à la section "expérience de l’équipe", c’est là que [ça se corsait].»
Les artisans de Fika ont toutefois refusé de baisser les bras et ont commencé à lancer des perches à différents éditeurs, notamment lors de l’événement MEGAMIGS à Montréal. Voyant l’intérêt pour le concept de Ship of Fools, ils ont ensuite planché sur un prototype jouable, en plus de s’inscrire à différents concours et compétitions québécoises.
Quelques mois plus tard, les résultats parlaient d’eux-mêmes: Fika Productions avait gagné la grande finale du programme Catapulte, décroché le prix Coup de cœur de la Série Indie Ubisoft et... signé une entente avec l’éditeur britannique Team17, connu notamment pour Worms et Overcooked.
Les preuves étaient maintenant (un peu plus) faites.
«Il y a beaucoup de studios qui aimeraient signer avec Team17. Je pense que c’est vraiment venu dire: OK, Fika, ils sont crédibles. Il y a un éditeur comme Team17 qui croit en leur projet. Ça a fait une grosse différence pour notre équipe, toute la motivation que ça apporte. De savoir que ça se passe, qu’on le fait ce jeu-là, qu’on est accompagné par un éditeur qui va nous permettre de le mettre en marché et d’attirer de la visibilité. Tout prend vie à ce moment-là», insiste le PDG du studio.
Pour l’amour de la coopération
Roguelite coopératif, Ship of Fools mettra les joueurs aux commandes d’un équipage de sympathiques matelots, baptisés les Fools, qui devront naviguer à travers une dangereuse étendue d’eau, tout en protégeant leur navire d’une variété de menaçantes créatures aquatiques. En fonction de l’ennemi, il faudra savoir adapter sa stratégie et donc travailler en équipe pour survivre.
Le titre sera aussi jouable en solo, mais celui-ci a avant tout été conçu pour être arpenté à plusieurs, note Antoine. Et ce, plus particulièrement en personne, même si le jeu en ligne sera possible.
«On est des joueurs qui adorent les jeux en local et qui adorent aussi les jeux de société. Bref, tout ce qui crée des interactions sociales entre les joueurs, qui crée des émotions. On se dit qu’on a gagné notre pari quand les gens gueulent en essayant Ship of Fools, qu’ils crient et qu’ils ont du fun. On veut qu’il y ait de l’émotion et c’est comme ça qu’on a créé le jeu. Le local, c’est super important pour nous, c’est à la base de Ship of Fools», affirme le concepteur.
Ce faisant, Fika compte se démarquer des autres titres coopératifs de type roguelite en offrant une expérience qui a été pensée dès le départ pour le jeu à plusieurs.
«Il y a beaucoup de roguelites qui sortent où le mode coopératif est ajouté par après. [...] C’est super intéressant, mais ça reste des jeux qui ont été pensés pour l’expérience solo. Ça a toujours des limitations quand on fait ça, remarque Antoine. On s’est dit qu’avec Ship of Fools, on allait faire un jeu dans lequel tu as envie de jouer en équipe et que c’est comme ça qu’il doit être joué. La façon optimale de gagner et de réussir une run, c’est à plusieurs.»
Faire des jeux différemment
Avec Ship of Fools qui doit paraître sur PC et consoles plus tard en 2022, la suite des choses se profile déjà à l’horizon pour Fika Productions. Un avenir, selon Antoine Grégoire-Slight, qui conjuguera croissance et nouveaux projets, mais qui misera aussi sur la continuité.
«On prévoit continuer à ajouter du contenu à Ship of Fools. Donc, à partir du moment où le jeu est terminé, on n’arrête pas le développement. [...] C’est dans nos plans de faire en sorte qu’on continue de mettre du nouveau dans le projet. Cela dit, on va quand même aussi penser à ce qui s’en vient après Ship of Fools. On a plein de prochains projets à développer», lance le cofondateur de l’entreprise.
Pour donner vie à ces nouvelles idées, Antoine prévoit que l’équipe de Fika s’élargira au cours des prochaines années, mais que le studio conservera tout de même l’échelle humaine qui le caractérise à l’heure actuelle.
«On ne veut peut-être pas grandir au point d’être un gros studio AAA d’une centaine de personnes, mais on voit déjà [le besoin] avec les prochains projets. On peut penser qu’il va falloir plus de gens dans l’équipe, plus de force et peut-être même de travailler sur plus d’un projet en parallèle», précise-t-il.
Certes, le PDG soutient qu’un élément est clair lorsqu’il songe à l’avenir de son studio: peu importe la croissance ou les projets futurs, les valeurs fondatrices de Fika Productions ne seront pas sacrifiées.
«Quand on a démarré l’entreprise, on s’est dit qu’on allait montrer que c’était possible de faire des jeux différemment. Ce n’est pas vrai que pour réaliser un jeu commercialement viable, il faut exploiter son équipe. C’est ça qu’on veut montrer. Que c’est possible d’être bien au travail, d’être super créatif, de prendre soin de notre monde et d’être capable de livrer un produit de qualité», martèle Antoine.
Des aspects que le jeune chef d’entreprise juge essentiels, mais aussi non négociables.
«Ça va rester pour toujours pour Fika. C’est ça qui nous définit.»